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Ces poussières

Création 1993

 

 

Avec Ces poussières, C. Diverrès a cette fois arrimé la chorégraphie au roman du grand Dostoïevski, Crime et châtiment. Dans le basculement d’images révélées par la danse, opèrent en contrepoint les lignes d’un grotesque emprunté aux gravures de Goya.

 

« Nous sommes ces poussières, je crois. Il n’y a pas d’autre « ces poussières » que nous autres, les respirant, les presque rien. Et comme nous tentons d’y être par figure et par volonté désemparée comme nous le tentons quand nous avons encore la force ou plus exactement le courage. Voilà ce qu’interroge, ce que propose Diverrès, sans jamais nous tendre le miroir, une belle manière d’être, une élégance de désespérée, un acte de salubrité, on voudrait pouvoir dire « publique », un acte qui ne cesse de convoquer le malaise qui va avec. L’irritant malaise qui va avec (…) et qui est aussi du malaise de la danse d’aujourd’hui quand elle ne veut plus se nommer : elle devient alors tout le reste, ce qui est essentiel, irréductible à l’un et l’autre à tel ou tel point de vue, et qui accomplit l’un et l’autre dans leur inaccomplissement, dans leur disparition. La danse dédouble, redouble encore, multiplie, isole, donc abstrait. Le théâtre devrait faire la même chose. Diverrès, Montet dansent cette disparition réitérée. Chaque danseur ne finit plus que par danser l’écart, le fragment, la poussière intermédiaire. (…) Je vois alors Ces Poussières comme un nuage stellaire un bloc fluctuant de résistance à l’imbécillité des évidences. Le ciel n’est pas comme nos ancêtres le voyaient, pas un couvercle en béton que Dieu de temps en temps soulèverait, comme ça, pour vérifier que là dedans ça respire encore, mais une fragilité somme toute. Et quelques fois irrespirable. Les autres avaient repris leur train depuis longtemps, la fragilité les concerne peu, l’irrespirable les fait tousser, ceux-là veulent du solide, le monde s’écroule petitement, mais ceux-là veulent du solide encore du béton, c’est assez rassurant en en réalité, ils connaissent le vocabulaire émotionnel de la danse, pas de doute, ils ne glisseraient pas un gramme de ces poussières entre leur rien et leur rien. »

 

Chorégraphie : Catherine Diverrès

Danseurs : Luis Ayet, Thierry Bae, Fabrice Dasse, Catherine Diverrès, Katja Fleig, Bernardo Montet, Alain Rigout

Costumes : Cidalia da Costa

Lumières : Dominique Bruguière

Scénographie : Jean Haas

Musique : Heinz Holliger, Lou Reed

Texte : Crime et châtiment, Dostoïevski.

crédits : Claude Danteny et Laurent Philippe

Durée : 1h40′

 

Revue de presse

Le Studio DM porte deux initiales, celles de Catherine Diverres et Bernardo Montet, danseurs et chorégraphes. La compagnie a désormais dans ses bagages plus d’une dizaine de créations. Autant d’expériences radicales sur les chemins d’une danse qui se remarque par la précision de l’écriture, la qualité de ses interprètes, l’originalité de son univers. Confirmée, l’exigence à l’oeuvre est celle d’une pensée qui travaille le corps en autant de mouvements subtils, rompus, nerveux ou lancinants. L’habileté de cette danse à créer sa propre langue emprunte parfois à la littérature ses mots, surgis dans la gorge des danseurs par éclats ou accents. Ce fut le cas pour « l’Arbitre des élégances » (1986) ou « Tauride » (1992). Dans « Concertino » (1990), la danse trouve ses gestes au rythme halluciné de l’écriture de Fernando Pessoa. La toute dernière pièce du Studio DM a été créée jeudi et vendredi à au Quartz de Brest.

Avec « Ces poussières », Catherine Diverres a cette fois arrimé la chorégraphie au roman du grand Dostoïevski « Crime et Châtiment ». Dans le basculement d’images révélées par la danse, opèrent en contrepoint les lignes d’un grotesque emprunté aux gravures de Goya. Selon de savants clairs-obscurs, les sept interprètes filent les méandres du mouvement. Ils sont ces figures démultipliées qui de masques en mascarades n’en restent pas moins très humaines. La mort y prend aussi de troubles et mystérieux visages. Fièvres, tourment, ironie occupent les corps. De descentes en ascensions, l’inédite chevauchée macabre lâche la bride. S’y ajustent des formes simples, remarquables duos et solos élaborés sur l’étrange. Mais au fil du temps, « Ces poussières » emprunte un parcours fantastique. Tournant comme toupie les différentes facettes du crime, Catherine Diverres ne cesse de pointer, d’hier à aujourd’hui, la résurgence des démons que nos mondes abritent.

A Paris, au Théâtre de la Ville du 23 au 27 novembre.

IRENA FILIBERTI. Article du 2 octobre 1993, paru dans l’Humanité