Concertino, pièce pour dix danseurs, pourrait être la situation d’une réunion de famille dans un intérieur, ou d’individus reliés par une histoire commune. Le jour et la nuit de noces, ou d’un enterrement, peut-être le rêve de chacune de ces personnes où chacun se trouve dans le rêve de l’autre.
« Dès l’ouverture, sur fond sonore des premières notes du « concerto numéro 2 » pour piano de Rachmaninov, un étrange ballet de mains qui viennent claquer sur le bois d’une table de bois, plonge le spectateur dans une fête ambiguë où gravité, cruauté, sensualité, hystérie et recueillement vont alterner dans les tons d’une somptueuse maîtrise picturale. Une fête de l’intranquillité des corps.
Le jeu des mains qui ouvre Concertino est exclusivement masculin. Lorsque les femmes pénètrent sur scène, lançant leur bras dans d’amples courbes, le groupe masculin éclate. La pièce va alors se nouer et se dénouer inlassablement au fil d’une représentation tour à tour douce, émouvante, tragique. Ici, la petite danse affriolante d’un homme perruqué comme un laquais de château, là, une étreinte rugueuse au sol. Ailleurs, une évocation du Martyre de Saint-Sébastien, ou encore une rixe soudaine à l’issue incertaine. Ce pourrait être, dit Catherine Diverrès, « la situation d’une réunion de famille dans un intérieur, ou d’individus reliés par une histoire commune. Le jour ou la nuit d’une noce, ou d’un enterrement, peut-être le rêve de chacune de ces personnes où chacun se trouve dans le rêve de l’autre. Nous ne savons pas qui est vivant ou mort. » Point d’orgue du spectacle, Diverrès, dans sa robe blanche, éloigne toute rumeur dans un solo d’une inégalable intensité. On pense alors à cette formule de Pessoa : « Je m’imagine parfois que sentir, penser, vouloir, peuvent représenter autant de stagnations face à un penser plus intime, un mode de sentir plus entièrement mien, une volonté perdue quelque part dans le labyrinthe de ce que je suis réellement. » Suggérée par ce solo de Diverrès, l’accalmie est fugitive. Prenant le relais, des figures de danse galante s’achèvent, dans une ambiance baroque, en entre-déchirement des uns et des autres. Sous le masque de la fête se déchaîne la cruauté la plus insensée. L’un des danseurs, yeux bandés, devient soudain le jouet de ses partenaires, somptueusement vêtus de rouge, comme surgis d’une époque révolue. N’est-on pas, dans la vie, à l’image de ce danseur aveugle, rejeté de part et d’autre dans l’insupportable lie de la fausse communauté ? A la fête factice, qui n’est que mascarade, Diverrès oppose la fête ambiguë des corps, de ce qu’elle nomme « les pulsions anonymes d’un époque », singulière expérience où le tourment prend chair, dans le trouble consenti de l’intranquillité. »
Jean-Marc Adolphe
Chorégraphie : Catherine Diverrès
Danseurs : Luis Ayet, Thierry Bae, Fabienne Compet, Catherine Diverrès, Olivier Gelpe, Bernardo Montet, Marion Mortureux, Rita Quaglia, Loïc Touzé, Mitsuyo Uesugi
Lumières : Pierre-Yves Lohier
Musique et montage : Eiji Nakazawa
Scénographie : Catherine Diverrès
Costumes : Cidalia da Costa
Décor : Gudrun Von Maltzan
Cinématographe : Téo Hernandez
Reproduction : « le repas des moissonneurs », Veyrassat
Crédits : Anne Nordmann, Guy Delahaye, Laurent Philippe, Jean michel Plouchard
Durée :1h30′